UN GOULAG NUCLEAIRE AU CENTRE DE L’EUROPE OU L’ODYSSEE A TCHERNOBYL DU PR BANDAJEVSKI
Lydia Surzhik, Le Miroir de la semaine. Ukraine –N°44, 2 décembre 2011, 20 heures (Journal « Зеркало недели. Украина, ZN UA »
La version présente de la traduction de l’article signale […en couleur et entre crochets…] de courts passages non traduits.
Les paradoxes de notre existence : un homme, citoyen d'honneur de 17 villes et régions de France dont Paris, se trouve à Kiev dans la position d'un paria. Il y a deux mois, le Centre de d’analyse et de coordination «Ecologie et santé» qu’il dirige a été expulsé des locaux du Centre de réadaptation pour les victimes de la catastrophe de Tchernobyl situé à Pusha Voditsa en banlieue de Kiev.
Voici maintenant un extrait d'une lettre signée par le Ministre de la Santé ukrainien R. Moiseenko au président du Centre de d’analyse et de coordination «Ecologie et santé», le professeur Y. Bandazhevsky, qu’il a reçu un mois avant l'expulsion: «Cher Youri Ivanovitch! Le Ministre de la Santé tient à remercier le Centre de d’analyse et de coordination «Ecologie et santé» pour le développement de projets visant à améliorer la santé dans les zones touchées par la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Le personnel du ministère a travaillé sur des propositions pour la mise en œuvre du projet «Modèle intégré de système de vie dans les territoires contaminés par la radio activité », notamment sur ses axes «santé, nutrition équilibrée et préventive pour la population de la région pilote» dans le secteur d’Ivankov de la région de Kiev, et restauration du Centre de réadaptation pour les victimes de la catastrophe de Tchernobyl qui relève du Centre scientifique de médecine nucléaire de l’Académie des Sciences médicales d'Ukraine.
... une fois de plus exprimer notre volonté de soutenir le projet cité ci-dessus et nous sommes sincèrement reconnaissants à la Commission européenne pour son soutien financier. »
[… paragraphe de la journaliste sur l’actualité ukrainienne en rapport avec Tchernobyl]
Dans ce contexte, les initiatives portées par Centre de d’analyse et de coordination «Ecologie et santé» et en particulier ce projet qui a le soutien du Parlement européen ont une valeur inestimable. Aujourd'hui, le refuge de cette organisation, qui permet le travail de chercheurs faisant autorité et d’experts de différents pays, est le bourg d’Ivankov. Malgré les difficultés matérielles, le Centre poursuit son travail alors que la réalisation d'un projet unique (il l’est, et de loin) est à l’arrêt. Pourquoi ? C’est par cela qu’a commencé l’entretien entre une journaliste de ZN.UA et Yury Bandazhevski, médecin et chercheur qui jamais pour des raisons d'opportunisme politique (lire – de nécessité), même au risque de se retrouver en prison, n'a renoncé à la vérité scientifique concernant les problèmes médicaux liés à Tchernobyl.
- Pour commencer, l'idée du centre "Ecologie et Santé" est née il y a quelques années, principalement comme une réponse à la désinformation de la communauté mondiale sur la situation qui se développe autour de Tchernobyl. J'ai lu les rapports de certains experts, y compris d'Ukraine, et ils m'ont, et c'est un euphémisme, surpris. Avec l'aide de collègues étrangers, j'ai préparé un rapport - il est fondamentalement différent du rapport officiel - qui a été présenté au Parlement européen. A cette époque, je vivais en France ; le gouvernement qui m’avait emprisonné ne voulait pas que je reste sur le territoire du Bélarus.
- Avez-vous été expulsé?
- Vous pouvez le dire, avec les honneurs. En avril 2006, dans le cadre d’une négociation menée par l'ambassadeur français en République du Bélarus, M. Schmelevsky, j'ai quitté la maison et me suis installé en France. Cette décision a été douloureuse mais je savais que rester au Bélarus et continuer à travailler était impossible.
- Et quelle a été la réaction du Parlement européen sur votre rapport?
- Le Parlement européen a soutenu mon initiative de création d’un centre "Ecologie et Santé". À l'automne 2008, nous avons tenu une importante conférence scientifique internationale, manifestant le soutien du Parlement européen à mes projets. Dans la suite, j’ai reçu un appel de l'Ukraine. Le président de l'ONG « Union Tchernobyl – Ukraine » Mr Andreev, conjointement avec Mr Bebeshko (alors chef du Centre scientifique de médecine nucléaire), m’a invité à mettre en œuvre ce projet en Ukraine.
A la fin de Janvier 2009 je suis arrivé à Kiev dans l'espoir que nous allions mettre en oeuvre un projet sérieux. J’ai naturellement travaillé avec l'autorité étatique, en particulier parce qu’il s’agissait de recevoir une aide financière importante de l'UE sur la base d’un accord avec le gouvernement. Le soutien nécessaire m’a été promis. Mais à mon arrivée en Ukraine, je n’ai pas reçu ce soutien tel que promis en particulier au niveau des députés et de la présidence du Parlement.
Le Centre d’analyse et de coordination « Ecologie et santé» a été enregistré en 2009 au Centre de réadaptation pour les victimes de la catastrophe de Tchernobyl de l'Académie des sciences médicales d'Ukraine. Notre centre est un organisme à but non lucratif qui réunit des personnes jouissant de grande autorité, scientifiques, médecins, députés, représentants des organisations publiques. Le conseil de surveillance est présidé par un scientifique exceptionnel, un écologiste membre de l'Académie des Sciences de Russie Alexei Yablokov.
Le Centre Ecologie et Santé a été installé à Pusha Voditsa dans les locaux du Centre de réadaptation pour les victimes de la catastrophe de Tchernobyl (après que le Centre de médecine nucléaire l’ait quitté). Cet endroit est maintenant totalement vide et ces ressources matérielles sont gaspillées, détruites. Incidemment, l’un des axes de notre projet est de restaurer et donner une nouvelle utilisation à ce centre de réadaptation.
Quelques mois après l'enregistrement de notre centre, nous avons présenté à l'Union européenne notre projet intitulé «Modèle intégré de système de vie dans les territoires contaminés par la radio activité ». Ce projet profondément et complètement élaboré par des experts de différentes spécialités, a reçu l'approbation du Parlement européen et de la Commission européenne. Actuellement, plusieurs de ses dispositions sont officiellement sous la forme de projet DEVCO[1].
- De quoi s’agit-il ?
- Ce projet vise à combiner et coordonner les efforts internationaux pour élaborer des mesures de sécurité pour la vie dans des conditions d'exposition constante aux radiations, dans l'une des régions les plus touchées de l'Ukraine, et diffuser les leçons apprises à d'autres territoires contaminés par la radioactivité. La zone expérimentale identifiée est le district d’Ivankov de la région de Kiev, actuellement l'une des plus contaminées en césium-137 et strontium-90. Cette région se trouve à la limite de la zone d'exclusion de 30 kilomètres (autour de la centrale de Tchernobyl, Ndt), la santé de ses habitants est très préoccupante. Entre 1986 et 2009, la prévalence du cancer de la thyroïde parmi la population de la région a été multipliée par 40, alors qu'avant l'accident, la maladie n’était quasiment pas présente. Le taux de mortalité y est aujourd'hui deux fois supérieur au taux de natalité. L'image est très sombre. Etant donné que dans les zones polluées il n'y a pas d'activité, les gens restent sans travail, consomment des produits qui sont cultivés sur des terres contaminées ou collectés dans la forêt comme les champignons et les baies. Il n’y aucun contrôle de la teneur en radionucléides là-dedans ni d'information sur la façon de protéger leur vie sur des terres contaminées, sur comment survivre. Sous nos yeux se déroule la destruction de la population slave dans le centre géographique de l'Europe. C'est un réel Goulag nucléaire ! Même l’hôpital d’Ivankov n’en n’est pas un en fait. A Ivankov, il y a un endroit où les gens se plaignent de leurs maux, l’hôpital, mais celui-ci n’a pas les moyens de dispenser les soins médicaux nécessaires. En tant que médecin et citoyen, tout cela est bien loin de m’être indifférent. La catastrophe de Tchernobyl c’est dans une égale mesure le malheur et des ukrainiens et des biélorusses, c’est notre douleur commune. A l’Institut médical de Gomel nous avons accueilli de nombreux ukrainiens, nous avons eu des contacts scientifiques étroits avec de nombreux scientifiques et instituts de recherche ukrainiens. Et si aujourd'hui nous vivons dans des pays différents, nous sommes unis dans le domaine de Tchernobyl. Je me représente comme un homme de ce domaine et considère de mon devoir de faire tout en ce qui est en mon pouvoir pour alléger les souffrances des gens forcés de vivre sous l'épée de Damoclès de la radiation. Si notre projet commun avec l'UE se réalise dans le district d’Ivankov, il deviendra un modèle exemplaire de mode d’action pour protéger les personnes vivant dans les zones contaminées par des éléments radioactifs. Dans ces conditions de vie, les stratégies de traitement, de prévention des maladies et de réadaptation doivent avoir leurs propres particularités.
L'objectif principal du projet est de créer un modèle efficace de système de radioprotection des populations pour améliorer la situation démographique et sanitaire des populations vivant dans les zones affectées par Tchernobyl. Des mesures isolées contre la radiation mesures ne fournissent pas la sécurité, il faut un ensemble complexe de mesures, pour empêcher surtout la pénétration d'éléments radioactifs dans le corps humain. Ceci est fondé sur les résultats de nos recherches qui sont une référence utilisée dans le monde pour évaluer les effets des accidents nucléaires. Malheureusement, en Ukraine il n'y a pas d'études similaires.
Un objectif non moins important du projet est l'utilisation efficace des fonds pour Tchernobyl. Les envois de fonds destinés à des programmes pour Tchernobyl pendant 25 ans n'ont pas donné de résultat. J’ai une attitude responsable en déclarant cela et suis en mesure de le démontrer.
- Au Bélarus, vous avez déjà prouvé que ces sommes destinées aux programmes pour Tchernobyl sont consommées pour la plupart en vain ou détournées. A quoi cela a-t-il conduit ? Votre enfermement en prison.
- Oui, en 1999, [… ] en tant que membre de la Commission j’ai envoyé au Président de la République du Bélarus, Alexandre Loukachenko, un rapport qui a conclu à une utilisation inefficace des fonds ; l'argent avait été dépensé en vain.
- Vous avez beaucoup étudié l'influence des radionucléides incorporés sur les organismes vivants, en particulier le césium radioactif 137. Nous étions tranquilles en nous disant que dans les limites autorisées ...
- Des doses de rayonnement sûres cela n'existe pas. Même de petites concentrations de radionucléides dans l'organisme peuvent causer de graves altérations pathologiques. Pourquoi après l'accident le nombre de cas de cancer de la thyroïde a-t-il augmenté si dramatiquement ? Nous avons d’abord pensé que c'était l'effet de l'iode radioactive seule. Nos recherches ont montré que la glande thyroïde incorpore aussi intensivement le césium radioactif. Ainsi l’effet de l'iode radioactif est rendu plus délétère par l’intervention du césium. Dans l’organisme des habitants de Polésie, tant biélorusse qu’ukrainienne, le radio césium est apparu bien avant Tchernobyl. La population de la partie européenne de l'ancienne Union soviétique a été soumise à des radiations depuis les années 60 du siècle dernier.
- Après les essais nucléaires?
- C'est l'une des hypothèses plausibles. Les pays les plus touchés sont les pays baltes (maintenant ils sont dans une situation catastrophique quant à la mortalité par cancer), la Biélorussie et l'Ukraine du Nord. À une époque (j’étais alors recteur) est arrivé dans mes mains le livre «Les retombées globales de Cs-137 et l'homme » (par Marey AN, Barkhudarov RM, Novikov NY, 1974). Il comportait des cartes des années 60. Ce livre, je l’ai récemment montré au professeur Landsbergis, premier dirigeant de la Lituanie libre, actuel député du Parlement européen et nous avons discuté de la situation. Pourquoi la Lituanie est souffre-t-elle en ce moment ? Quand j'ai montré cette carte au Parlement du Bélarus en 1999, de nombreux députés et membres du gouvernement ont été tout simplement choqués. (Toutefois, après trois mois, j'ai été menotté.) […un passage descriptif du livre…] Tchernobyl est arrivé, l'information est restée secrète, le livre a été retiré (mes élèves l’ont retrouvé dans une petite bibliothèque près de Gomel). Le comptage des doses collectives a commencé à partir de zéro, bien que les personnes aient déjà été exposées aux radiations. Autrement dit, le calcul des doses a commencé à partir de positions fausses.
[… Un passage sur les nombreuses études scientifiques menées à l'Institut médical de Gomel, montrant que des concentrations relativement faible de radionucléides Cs-137 (30-50 Bq / kg) peuvent provoquer de graves processus pathologiques chez les enfants et les adultes, en particulier des affections cardiovasculaires ou des malformations congénitales….]
En somme, sont maintenant observables des problèmes de santé qui ne relèvent pas uniquement de Tchernobyl. Il s’agit de ce que nous avons « ingurgité » avant et par-dessus le marché, la « ration » de radiations de l’explosion de la centrale nucléaire. Tchernobyl est encore à venir ... La situation démographique s’évalue sur des générations.
- Je voudrais en savoir plus, pourquoi un projet qui avait le soutien du Parlement Européen et de la Commission s’arrête-t-il ?
- C'est arrivé dans des circonstances très intéressantes. Lorsque nous avons annoncé que notre organisation pourrait suivre le projet, c’est à dire observer sa réalisation, des difficultés sont arrivées. En Septembre, il m’a soudain été demandé de libérer le centre de réadaptation de Pusha Voditsa.
- Par qui?
- L'administration de l’Académie des sciences médicales et le Centre de médecine nucléaire. Incidemment, l'un des axes du projet comprend la restauration de ce Centre de réadaptation pour les victimes de la catastrophe de Tchernobyl, nous avons fait beaucoup pour amener des experts, le gouvernement ukrainien a même alloué des fonds pour commencer à travailler cette année, ce qui permet un lien avec l'Europe.
Apparemment, la vie m'a appris la prévoyance. L'année dernière, j'ai enregistré pour notre organisation une seconde adresse à l’hôpital du district d’Ivankov. Fin septembre, après l'expulsion de notre centre, une réunion a eu lieu à Bruxelles pour discuter du projet. Tout s’est bien passé. L’action des personnes mal intentionnées pour que nous apparaissions vis-à-vis de l’UE comme une organisation sans base (et sans adresse) ne s'est pas justifiée. C'est-à-dire que toute cette agitation s’était tramée dans le but de nous discréditer auprès de la Communauté européenne.
- Qu’en pensez-vous, dans quel but ?
- Pour empêcher la possibilité de mettre en œuvre le projet à grande échelle.
- Quel type de financement pour le projet a été discuté lors des réunions ?
- Au total, compte tenu de tous les axes (huit d'entre eux) - environ 30 millions d'euros. Le projet était initialement soutenu par les autorités, mais quand il s'est agi de signature, tout s'éteignit. On m'a dit que certains ministres n'étaient pas d'accord pour signer car, disent-ils, il y a eu des précédents, l'argent a disparu ....
Notre organisation non gouvernementale n'est pas liée à des questions financières. Nous venons de lancer un projet et nous avons l'intention de surveiller son application. Siègent au conseil de surveillance des personnes de renommée internationale : Alexei Yablokov, Daniel Cohn-Bendit, José Bové, Michèle Rivasi, Corinne Lepage, Rebecca Harms ...
- Diriez-vous que vous que le détournement d’argent sera impossible ?
- Bien sûr, tous les fonds seront sous contrôle public.
A ce propos, il y a quelques jours, en tant que président de l’International Civic Coordination Chernobyl Counsil ICC CC (qui réunit 21 ONG), j'ai fait appel aux députés par une lettre dans laquelle nous demandons au Parlement européen de lancer la vérification de l'utilisation des fonds alloués par la Commission européenne au cours des 15 dernières années pour répondre aux conséquences humanitaires de l'accident de Tchernobyl.
- Pour une telle lettre y a-t-il un motif sérieux ?
- J'ai des informations sur un certain nombre de projets pour Tchernobyl pour lesquels la CE a alloué des fonds, y compris à Ivankov. Et à Ivankov, on ne sait rien de ces projets. Comment ces fonds ont-ils été utilisés ? Espérons que le public connaisse bientôt la réponse à cette question.
- Et après cela, vous voulez que vos projets après obtiennent le feu vert ?
- Mes adversaires n’agissent pas seulement ici, je subis des pressions, mais mettent aussi la pression sur ma famille qui vit en Biélorussie. Toute action sérieuse que je mène en Europe, se fait connaître en Biélorussie par une réponse à l'égard de mes filles déjà adultes. L'aînée est médecin, la cadette termine ses études à l’université. Dieu merci, ma famille partage mes convictions et ne succombe pas aux provocations.
- L'expérience des experts ukrainiens et de leurs organismes scientifiques pour surmonter les effets d'une catastrophe nucléaire intéresse beaucoup les japonais. Votre travail et celui de vos collègues est-il demandé à l'étranger?
- Notre travail est d'un grand intérêt après la catastrophe de Fukushima. La situation au Japon est extrêmement difficile, nous pouvons dire est catastrophique, beaucoup plus difficile que la nôtre après Tchernobyl, et les Japonais tentent de minimiser l'impact de la tragédie. Aujourd'hui, ils ont toléré une dose de césium radioactif dans l'alimentation de 500 à 700 Bq / kg, et nous disons que 100 c'est dangereux. Il y a quelques jours, nous avons rencontré la délégation du Japon à Ivankov qui prévoit d'utiliser notre expérience et notre expertise scientifique dans la prise en charge de la catastrophe.
Quant à l'Ukraine, je veux dire directement : le soutien de mes collègues scientifiques tel que je l’espérais, je ne l'ai pas obtenu. Et pourtant, le Centre « Ecologie et Santé » a réussi à concentrer un potentiel scientifique considérable. Cette année, nous avons publié deux livres en Ukraine. L'un d'eux « Tchernobyl. 25 ans : radionucléides Cs-137 incorporés et la santé humaine » (édité par Y Bandazhevsky).est un travail collectif d’auteurs ukrainiens biélorusses et français. Nos travaux scientifiques sont publiés à l'étranger : en France, en Lituanie, en Italie et au Japon.
[1] Ndt : « Développement et coopération EuropeAid » (DevCo/EuropeAid) est une direction générale de la Commission européenne, issue de l’ancienne DG Développement (DG-Dev) et d’EuropeAid.