Efficacité de la pectine pour réduire la charge en césium 137 chez des enfants intoxiqués de façon chronique : analyse de littérature
Pr Laurent Gerbaud, Service de santé publique CHU de Clermont-Ferrand ; Faculté de Médecine, Université d’Auvergne PRES Clermont-Université
Date de rédaction : mars 2012
Introduction :
Les pectines sont un ensemble de polyosides constituant de parois végétales que l’on retrouve dans de nombreux fruits. Les pectines sont couramment utilisées comme gélifiant dans les confitures et gelées et les matières premières sont généralement les pommes et les peaux de citron (1) (May 1990). Elles ne sont pas absorbées mais jouent un rôle d’adsorbant dans la lumière digestive, interagissant notamment sur le cycle des acides biliaires et du cholestérol qu’elle contribue, comme d’autres fibres alimentaires, à fixer et éviter une réabsorption (2) (Papathanasopoulos et al. 2010). Elle interfère modérément sur le cycle glycémique (3) (Sanaka 2007) et peut être utilisée pour réduire les apports énergétiques dans l’alimentation de personnes obèses ne faisant pas de régime, sans que la part entre son rôle d’adsorbant digestif et son simple rôle d’augmentation du bol alimentaire soit clairement établi (4) (Pelkman et al. 2007). Son rôle mécanique dans le bol alimentaire a été utilisé dans la lutte contre le reflux gastro œsophagien (5) (Miazawa 2008). Elle a d’autres usages médicaux, soit de support à des produits actifs (6)(Davies et al. 2011), (7) (Gao et al. 2010), soit comme vecteur de probiotiques afin de réduire le risque de développement d’atopie chez le nourrisson (8) (Grüber 2010).
La pectine a également des propriétés adsorbantes sur certains métaux lourds (plomb, mercure et cadmium) surtout étudiés en expérimentation animale (9) (Jourdain et al. 2005). En expérimentation humaine, les publications concernant son usage sont limitées à une réduction de plomburie chez des travailleurs exposés (10) (Trakhtenberg et al. 1995) et de plombémie chez des enfants (11) (Degtiareva et al. 2001). Plusieurs sources mentionnent l’usage de la pectine par le laboratoire Sanofi pour réduire la contamination par le plomb chez des travailleurs (12) (Niedeker et al. 2012), (13) (Fernex 2004) sans que l’on ait pu trouver de documentation à ce sujet, cette mention ne faisant l’objet d’aucune référence et aucun lien n’ayant pu être établi à partir des différents sites du groupe Sanofi. Il est à noter que le guide de référence du ministère de la santé français quant à l’intoxication chronique par le plomb (14) ne mentionne pas le recours à la prise de pectine, les mesures à prendre en cas de saturnisme infantile reposant sur l’arrêt de la source de contamination et, en cas d’intoxication (à discuter à partir d’une plombémie >250μg/L), à une chélation (par DMSA per os, EDTA par voie veineuse ou BAL par voie intramusculaire) seule à même de mobiliser le compartiment osseux – lieu de stockage du plomb.
Depuis la catastrophe de Tchernobyl, plusieurs travaux ont rapporté l’intérêt d’un traitement par pectine, en utilisant ses propriétés adsorbantes pour réduire la charge en césium 137 des enfants contaminés. Son usage et ses modalités (cures de 3 à 4 semaines, répétées ou non, prise continue) fait toutefois débat et ce débat a été rendu plus intense par la catastrophe de Fukushima qui a également exposé de nombreuses populations à un risque d’intoxication chronique par le césium 137. Le recours à la pectine pour le traitement d’intoxication chronique d’enfants a fait l’objet d’un rapport de l’IRSN en 2005 n’aboutissant pas à une conclusion nette de recommandation de son usage.
L’objectif de ce travail est de faire une revue de littérature, à partir des éléments accessibles, sur l’utilisation de la pectine comme réducteur de la charge en césium 137 chez des enfants, d’analyser les données présentées et leur niveau de preuve afin d’évaluer la place de la pectine dans la prise ne charge des enfants contaminés par le césium 137.
Matériel et méthodes
Nous avons recherché les articles existants selon plusieurs sources :
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Sur Medline, à partir du mot clef pectin limité aux humains, aux études expérimentales, revues, méta analyses et essais cliniques randomisés et au cours des 7 dernières années, soit 29 occurrences qui ont toutes été analysées ainsi que les références bibliographiques renvoyant à des articles ou rapports d’expérimentation,
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Sur Wikipédia en français, à partir du mot clef pectine, renvoyant à l’article éponyme pour lequel toutes les sources ont été étudiées,
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Sur Google, Yahoo et Bing, à partir des mots clefs pectine et césium, en n’analysant que les 150 premières occurrences, toutes les références ainsi trouvées étant explorées, ainsi que tous les liens renvoyant à des articles ou rapports d’expérimentation.
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Les sites de l’IRSN, de la CRIIRAD, de l’ACRO , de Chernobyltoday, de Belrad, des Enfants de Tchernobyl-Belarus et des Enfants de Tchernobyl ont été visités à la recherche d’informations (articles, rapports, liens vers d’autres sites)
Les langues retenues pour la sélection des articles et rapports à analyser ont été l’anglais, le français, l’italien et le russe.
Résultats
Malgré l’abondance des pages et articles explorés, seulement 8 sources comportant des données d’études expérimentales ont pu être exploitées. Aucune source, même les articles scientifiques, ne satisfait pleinement aux règles de publication d’un essai clinique randomisé, de sorte qu’il est souvent difficile d’apprécier leur validité réelle. Beaucoup de sites, forums, blogs et commentaires se contentent de donner des chiffres sans réelles références. La plupart des citations portent sur les mêmes études, ici prises en compte, même si parfois les chiffres repris n’ont aucun lien avec ceux publiés (allant en général dans le sens d’une minoration des effets du contrôle alimentaire ou de la spiruline et d’une majoration des effets de la pectine). La qualité des éléments publiés n’étant pas fondamentalement différentes entre les articles et rapports, nous avons décidé de ne pas segmenter l’analyse selon le type de publication.
Les sources retenues, par ordre chronologique, sont les suivantes :
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Un rapport de P Barazzotto et P Balbo, en collaboration avec l’Institut Belrad, pour le compte de l’association « Un sorriso per Chernobyl » en 1999 (15) (Barazzotto, 1999), rapport cité dans un courrier de VF Kuchinsky du département de secours humanitaire de la présidence Bélarusse en date du 06 avril 1999.
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le compte-rendu d’une expérience menée en août 2000 au sein du sanatorium « Bélarus » et publié dans un document de la CRIIRAD en 2002, sans précision quant aux auteurs (16) (Sanatorium Bélarus 2002),
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un article de GS Bandazhevskaya et al. publié dans Swiss Medical Weekly en 2004 (17) (Bandazhevskaya 2004),
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un article de VB Nesterenko et al. publié dans Swiss Medical Weekly en 2004 (18) (Nesterenko 2004),
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un rapport de l’Institut Belrad de 2004, pour lequel il est possible qu’une partie des données ait été publiées dans l’un des deux articles précédemment cités. Faute de précision, ce rapport a été considéré comme une source autonome, même s’il y a possibilité de confusion des données avec ces deux articles (19) (Belrad 2004)
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un rapport de l’ACRO de décembre 2004 concernant le séjour d’un groupe d’enfants en France et réalisé en partie avec l’aide de l’Institut Belrad (20) (ACRO 2004)
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un bref compte-rendu du Pr V.B Nesterenko en date du 30 janvier 2007 et rapportant une expérimentation sur le secteur de Narovlia en 2006-2007 (21) (Nesterenko 2007),
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un article de Perevoznikov et al. publié en 2008 dans une monographie du Ministère de la santé publique d’Ukraine, Académie des Sciences médicales d’Ukraine, Institut de l’hygiène et l’écologie médicale Marzeev (22) (Perevoznikov 2008), repris dans la revue Le Dniepr (N°50, juin 2009).
Les références 2 à 5 (indexées 16-19) avaient été retenues dans la revue de littérature de l’IRSN publiée en 2005 (Jourdain et al. 2005). Il est possible que les sources 3, 4 et 5 se recoupent partiellement, puisque publiées par la même équipe au même moment. Toutefois, les données présentées ne permettant pas de trancher, chaque étude a été considérée comme différente.
L’indicateur d’efficacité retenu a été le pourcentage d’évolution de la contamination mesurée corps entier par dosimétrie externe ((dose initiale – dose finale)/dose initiale, en %). Il s’agit du seul indicateur commun à toutes les études, parfois le seul qui soit donné. Trop souvent, les valeurs de dispersion ne sont pas fournies ou sont imprécises (écart-type, déviation standard, variance,… ). Il n’a donc pas été possible d’estimer une valeur commune d’effet. Le calcul d’une valeur moyenne d’effet, à partir des données publiées, a été effectué suivant la méthode des barycentres. Les résultats des groupes placebo avec contrôle de l’alimentation et des groupes avec seul contrôle de l’alimentation ont été regroupés pour simplifier la présentation des résultats, sachant que leurs moyennes et étendues sont du même ordre.
Les populations incluses et types d’étude constituent le tableau 1. Différents types d’étude sont décrits : suivi de cohorte, pectine versus groupe contrôle de l’alimentation, versus placebo et dans deux cas versus également la spiruline. Le plus souvent la pectine est associée à un contrôle de l’alimentation, dans trois cas (Barazzotto 1999, ACRO 2004, Perevoznikov 2008) ce contrôle est dû à un séjour à l’étranger (Italie pour la première étude, France pour les deux autres), pays où la quantité de césium 137 dans l’alimentation peut être considérée comme nulle. Le plus souvent l’évaluation de la contamination se fait par dosimétrie corporelle globale qui a été réalisée dans tous les cas à l’Institut Belrad de Minsk sauf pour l’étude de Perevoznikov, où les mesures ont été faites au laboratoire CIP à Kiev. Dans l’étude de l’ACRO (ACRO 2004), cette mesure a été complétée par une mesure de l’excrétion urinaire du césium 137, en France, sur les urines du matin, en début et fin de séjour des enfants. Pour des raisons précisées dans le rapport de l’ACRO (quantité d’urine recueillie trop faible, oubli du recueil en fin de séjour), seuls 32 enfants sur 47 ont pu être ainsi évalués. Toutefois, et à partir des données du rapport, il a été possible de calculer que ces enfants ne différaient pas des autres en termes d’âge, de sexe, de groupe (pectine ou placebo) ou de niveau initial d’excrétion urinaire du césium.
Les qualités méthodologiques de chaque étude ou rapport figurent dans le tableau 2. Si les plans d’étude se rapprochent parfois des normes usuelles (test contre placebo, groupe contrôle ne recevant rien dont on a la garantie de la sécurité alimentaire du fait d’un séjour à l’étranger), les données publiées ou présentes dans les rapports sont, au mieux, de qualité médiocre : peu ou pas d’information sur la façon dont le tirage au sort a été effectué, pas de diagramme d’inclusion et de suivi. Ceci est gênant car dans certaines études (ACRO 2004, Perevoznikov 2008) le groupe pectine a lors de l’inclusion un niveau de contamination significativement plus élevé. Dans l’étude de Perevoznikov, cela peut être dû au fait que 13 des 60 enfants avaient bénéficié d’une cure de pectine préalablement à leur séjour en France.
Nous n’avons peu ou pas d’information sur la nature du placebo, et de ce fait peu de possibilité de vérifier la qualité de l’aveugle (parfois annoncé comme double aveugle mais sans que l’on puisse en vérifier la qualité), pas d’information sur l’existence d’un aveugle au niveau des mesures de contamination, ce qui est d’autant plus gênant que la plupart de ces mesures proviennent d’un organisme, Belrad, par ailleurs producteur et fournisseur de l’une des formes de pectine les plus fréquemment utilisée (Vitapect).
Les analyses statistiques sont parfois inexistantes. Lorsque des données individuelles étaient présentées, elles ont permis de calculer des tests statistiques de séries appariées, le sujet étant son propre témoin. Pour les autres études, les tests, lorsqu’ils existent, se contentent de comparaisons globales de groupes d’enfants, sans se baser sur les variations intra individuelles. Beaucoup trop de données sont publiées sans précision sur la distribution autour de la moyenne, pour espérer reprendre des calculs plus adéquats.
Résultats
Sur l’ensemble des études, les résultats de décontamination relative par dosimétrie corporelle globale sont :
-
pour la pectine : – 45,2%, variant de -22,0% à – 62,6%,
-
pour le placebo et/ ou groupe contrôle :-28,9%, variant de -12% à -44,5%,
-
pour la spiruline, même si elle n’était pas l’objet de ce travail, deux études en rapportent le résultat : -54,1% (-54,9% et -26,8%)
Pour l’étude ACRO comparant également excrétion urinaire entre pectine et contrôle alimentaire (par un séjour en France), les résultats sont similaires entre la pectine (-63,8%) et la seule alimentation (-60,1%). Il est à noter que cette évaluation a été effectuée sur 32 seulement des 47 enfants pour des problèmes de recueil d’urine lors de la seconde mesure (avant le retour au Bélarus). Les enfants testés sont toutefois comparable en termes d’âge de sexe et de groupe de traitement.
La synthèse des résultats est détaillée dans le tableau 3 .
Tableau 1 Populations incluses et types d’étude
Etude |
Population |
Groupe de comparaison |
Durée |
Evaluation de la contamination |
Contrôle de l’alimentation |
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Taille |
Age moyen |
SR (H/F) |
|||||
Barazzotto, 1999 (15) |
334 enfants | 9 à 14 ans | 1,02 | 3 groupes égaux : Groupe A : spiruline* Groupe B : pectine Groupe C : placebo |
3 semaines | Dosimétrie corporelle globale (Institut Belrad) | Séjour à l’étranger (Italie) |
Sanatorium Bélarus 2002 (16) |
133 enfants | non précisé | non précisé | Groupe Vitus-Iod (22 enfants) Groupe Spiruline (18 enfants Groupes pectine : Vitapect (27 enfants), Iablopect (30 enfants) Groupe contrôle : (36 enfants) |
1 mois | non précisé | Contrôle par le sanatorium |
Bandazhevskaya 2004 (17) |
61 enfants en 3 groupes : contamination faible (33), moyenne (31) et forte (30) | 12,6ans | 0,88 | Pas de groupe contrôle pas de contamination <5Bq/Kg, contamination moyenne # 38Bq/Kg, élevée #122Bq/kg |
3 semaines | Dosimétrie corporelle globale ECG |
Contrôle par le sanatorium |
Nesterenko 2004 (18) |
64 enfants | 12,1ans | 0,83 | Groupe 1 : pectine (32 enfants) Groupe 2 : placebo (32 enfants) |
3 semaines | Dosimétrie corporelle globale mobile | Contrôle par le sanatorium |
BELRAD 2004 (19) |
344 enfants | non précisé | non précisé | Groupe 1 : pectine (50 enfants) Groupe 2 : placebo (50 enfants) Groupe 3 : contrôle (244 enfants) |
12 à 14 jours | Dosimétrie corporelle globale | Contrôle par le sanatorium |
ACRO 2004 (20) |
47 enfants | 12,6 ans | 0,41 | Groupe 1 : pectine (22 enfants) Groupe 2 : contrôle (25 enfants) |
3 semaines | Dosimétrie corporelle globale (Institut Belrad) Excrétion urinaire de césium 137 (en France) |
Séjour à l’étranger (France) |
Nesterenko 2007 (21) |
7 écoles mais, 23 enfants avec données fournies | 13,0 ans | 0,64 | Pas de groupe contrôle | non précisé | Dosimétrie corporelle globale mobile | Non précisé |
Perevoznikov 2008 (22) |
504 enfants | non précisé | non précisé | 4 groupes pectine : Marianovka (149 enfants), Ragovka (63 enfants), Lugovicki (81 enfants), Vovtchkiv (121 enfants) Un groupe contrôle : 60 enfants |
3 semaines |
Dosimétrie corporelle globale : mobile pour les groupes pectine et au laboratoire CIP de Kiev pour le groupe contrôle | Séjour à l’étranger (France) |
Tableau 2 Caractéristiques méthodologiques des études
Etude |
Randomisation |
Aveugle |
Données individuelles |
|||
Tirage au sort |
Modalité |
Comparabilité des groupes |
Modalité |
|||
Barazzotto, 1999 (15) |
oui |
non précisé |
Age, sexe, dose globale initiale |
non précisé |
Disponibles, partiellement |
|
Sanatorium Bélarus 2002 (16) |
non précisé |
Non précisé |
non précisé |
non |
||
Bandazhevskaya 2004 (17) |
non |
double aveugle |
non précisé |
non |
||
Nesterenko 2004 (18) |
oui |
par table de randomisation (sans autre précision) |
Sexe et dose globale initiale |
double aveugle |
non précisé |
Disponibles |
BELRAD 2004 (19) |
oui |
non précisé |
Non précisé |
double aveugle |
non précisé |
non |
ACRO 2004 (20) |
non précisé |
Age et sexe identique mais le groupe pectine a une dose globale plus élevée (38,96Bq/kg vs 29,85 p=0,02) et une excrétion urinaire plus élevée (24,03Bq/L vs 11,32 p=0,01) |
non précisé |
Disponibles |
||
Nesterenko 2007 (21) |
non |
non précisé |
pour 23 enfants seulement |
|||
Perevoznikov 2008 (22) |
non |
Données seulement pour la dose globale : pour les 4 groupes pectine dose moyenne= 73,49Bq/kg, groupe séjour dose moyenne= 50,0 Bq/kg, p=0,06 |
non précisé |
non |
Tableau 3 : résultats
Etude |
% de diminution de la gammamétrie corps entier |
Autres résultats |
Sous-groupes |
Commentaires |
Barazzotto, 1999 (15) |
Spiruline : -54,9% Pectine : -50,4% Placebo : -44,5% |
contamination <40Bq/Kg: total – 48,8%, spiruline -54,6%, pectine -51,2%, placebo -40,4% contamination> 40Bq/kg: total – 54,6%, spiruline -58,3%, pectine -47,5%, placebo -57,4% effet plus important chez les garçons (-52,2% au total) que chez les filles (-47,5%) |
Résultats considérés comme non probants pour la pectine, du fait de l’inversion d’efficacité mesurée par rapport au placebo pour les contaminations >40Bq/Kg |
|
Sanatorium Bélarus 2002 (16) |
Spiruline : -26,8% Pectine : -49,5% Vitus-iod : --31,1% Contrôle : -16,8% |
Pas de test statistique |
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Bandazhevskaya 2004 (17) |
Contamination modérée : -39% Contamination forte : -28% |
Evolution des anomalies à l’ECG: Groupe<5 Bq/kg stabilité (de 51 à 52%) Contamination modérée : baisse de 87 à 72% Contamination forte : baisse de 93 à 79% |
Les enfants de familles consommant leur production du jardin sont moins souvent dans le groupe <5Bq/Kg (p<0,05) |
|
Nesterenko 2004 (18) |
Pectine : -62,6% Placebo : -13,9% |
p<0,01 |
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BELRAD 2004 (19) |
Pectine : -22 à -41% Placebo : -12 à -21% Contrôle : -24% |
Pour 66 à 99 enfants testés: faible diminution du Zn sanguine, augmentation du Cu et Fe sanguin, K inchangé |
p<0,01 |
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ACRO 2004 (20) |
Pectine : -36,8% Contrôle : -17,9% |
Baisse de l’excrétion urinaire (32/47 testés, identiques pour âge, sexe, groupe pectine ou non) -63,8% pour la pectine et -60,1% pour le contrôle |
p <0,01 pour la dosimétrie globale, NS pour l’excrétion urinaire |
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Nesterenko 2007 (21) |
Pectine : -42,5% |
Échec chez les enfants dont le père est chasseur, pas de test statistique |
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Perevoznikov 2008 (22) |
Pectine :-30,1% Contrôle : -30,0% |
13 enfants ont eu successivement la cure de pectine puis le séjour en France : la baisse moyenne sous pectine a été de 26,1% puis de 32,5% lors du séjour en France |
Moindre efficacité de la pectine pour les enfants de familles les plus pauvres |
Discussion :
Notre étude repose sur ce que nous avons pu identifier comme littérature scientifique publiée, soit 3 articles, ainsi que comme littérature « grise », soit 5 documents documents, dont le plus récent date de 2008. Notre étude inclut plus de travaux que celle effectuée par Jourdain et al. pour l’IRSN en 2005 (9) (Jourdain et al. 2005) en y incluant trois rapports existant lors de ce travail et deux réalisés par la suite.
Il existe clairement un biais de publication dans la mesure où les études les moins favorables (Barazzotto 1999, Perezvonikov 2008) n’ont pas fait l’objet de publications scientifiques.
Si l’on compare l’ensemble des résultats concernant la pectine, il convient de noter la grande variabilité de son efficacité (de 22 à 62,6% de réduction de la contamination). Pour toutes les études, sauf une, l’évaluation est faite par l’Institut Belrad qui est par ailleurs promoteur de l’une des formes de pectine (Vitapect).
Cette variabilité se retrouve également dans la réduction de dose pour le groupe placebo/contrôle qui varie de -12 à -44,5%. Toutefois, il convient de noter que lorsque les enfants ont effectué un séjour à l’étranger, cette réduction apparaît plus importante (-44,5% et -30,0%) que lorsqu’il s’agit d’un contrôle de l’alimentation en sanatorium (-12 à -24%). La seule exception concerne les enfants accueillis par l’ACRO en 2004, mais ils sont peu nombreux et ils avaient une dose initiale significativement plus faible que celle du groupe pectine. Il est possible que cette différence provienne de la qualité du contrôle alimentaire en sanatorium (qui n’est jamais précisé dans ses modalités), soit que le contrôle ait des défaillances, soit que les enfants continuent à consommer des produits fournis par des proches et contaminés. Alors que, une fois à l’étranger, trouver une alimentation source de césium 137 en France ou en Italie est à peu près impossible.
Dans 5 études, la pectine apparaît supérieure au placebo, encore qu’il faille tenir compte du fait que 3 études sont liées entre elles et peuvent porter sur des sous-groupes de l’étude principale (19) (Belrad 2004). Toutes ces études ont été menées au Bélarus. Pour deux études, comportant des séjours à l’étranger, les auteurs concluent à une absence de différence, la pectine ayant le même effet que le placebo. Soit cette différence n’existe réellement pas (21) (Perevoznikov), soit que les résultats soient contradictoires, la pectine montrant moins d’efficacité que le placebo en cas de contamination >40Bq/kg, à l’inverse de ce qui est mesuré pour les enfants moins contaminés.
L’utilisation de la pectine en cure courte pose par ailleurs plusieurs questions :
-
la capacité à atteindre certains compartiments du corps humain. Le césium 55 est estimé comme un analogue du potassium, et en général on assimile son cycle à celui du potassium dans le corps humain. Il s’agit toutefois de données anciennes pour lesquelles des données sont manquantes ou incomplètes (volume de distribution, identification de compartiments de stockage,…). Il n’est pas certain que le césium137 ait la même cinétique, l’existence de stock par accumulation organes, notamment chez l’enfant, ayant été publiée (23) (Bandazhevsky 2003), ce qui est équivalent au comportement d’autres métaux lourds dans l’organisme et dont la toxicité est mieux connue (plomb et mercure). Il n’est pas certain que des cures courtes parviennent à mobiliser ces stocks, la pectine réduisant la dose totale par réduction du césium circulant (qui serait alors capté par la pectine lors d’un cycle entéro-biliaire) sans mobiliser réellement les stocks au niveau des organes. On se trouverait ici dans la situation du plomb où une intoxication importante d’un enfant amène à recourir à des chélateurs internes du plomb, faute de quoi l’enfant reste contaminé par le relargage du plomb stocké dans les os (14) (Direction Générale de la Santé, 2006). Il est à noter que le ministère russe de la santé propose une pectine qui serait complété de molécules passant dans le sang et ayant une capacité chélatrice interne, la zoostérine, mais celle-ci n’a pas fait l’objet de publications d’essais cliniques (24) (Ministery of Public Health, Russian Federation 2003). A ce titre, il serait utile de réaliser des mesures de doses incorporées d’organes proches de la peau (thyroïde) ou de volume suffisant (cœur, foie, reins) à l’aide des techniques de reconstitution de signal utilisées en imagerie médicale 3D.
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le sentiment de sécurité induit peut amener les personnes à moins surveiller leur alimentation, ce qui peut aboutir à un accroissement de la contamination, évoquée par Nesterenko concernant la consommation de gibier (21) (Nesterenko 2007), ou dans l’étude ukrainienne (22) (Perevoznikov 2008) pour expliquer le moindre succès de la pectine dans les familles pauvres, celles-ci ayant plus souvent recours à une autoproduction alimentaire familiale avec des jardins en zone contaminée. Bandazhevskaya (17) (Bandazhevskaya 2004) note que le recours à cette autoproduction est un facteur lié à une plus grande contamination des enfants. L’étude de Dubovaya (25) montre qu’en Ukraine, à côté du lait, l’essentiel de la contamination provient de la cueillette de baies et champignons ainsi que de la production de fruits et légumes dans le jardin familial. Ainsi, toute cure de pectine doit être a minima accompagnée d’une éducation alimentaire structurée et évaluée, visant à réduire au maximum les apports.
Il est parfois proposé d’utiliser la pectine en cure longue ou en cures courtes (de 3 à 4 semaines) répétées 3 à 4 fois par an. Indépendamment des questions précédemment évoquées, ceci amène à d’autres commentaires :
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même si la pectine est considérée comme un additif alimentaire sans risque, son usage répété à des doses supérieures à la consommation courante pose plusieurs questions. La pectine a été utilisée efficacement comme réducteur des intrants énergétiques alimentaires dans la prise en charge de l’obésité, permettant une réduction pondérale (4) (Pelkman et al.) 2007), (26) (Slavin 2005). Dans le dossier de toxicologie datant de 1982 et reprenant des données d’études essentiellement effectuées sur le rat dans les années 70 (27) (IPCS INCHEM 1982), une réduction de la croissance staturo-pondérale est retrouvée à court terme (90 jours, étude citée Til 1972), comme à long terme (2 ans- études citées Palmer et Jones 1974, Abdul & Palmer 1974) et dans les deux cas l’effet dépend de la dose de pectine ingérée. Une seule étude a mesuré quelques oligoéléments (K, Cu, Fe, Zn), sur une période courte (12 à 16 jours), sans effet notable, sur un échantillon de 66 à 90 enfants, sans que l’on sache très bien comment a été fait le plan d’études. (19) (Belrad 2004). Il y a cependant un risque de réduction des apports caloriques, vitaminiques et en oligoéléments (28), ce dont les promoteurs du Vitapect ont probablement conscience puisqu’ils enrichissent la pectine de vitamines et oligoéléments. Cette réduction potentielle doit être étudiée, en particulier pour le traitement des enfants et des femmes enceintes
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La pectine agit également sur le cycle du cholestérol, via son cycle entéro-biliaire, permettant sa réduction dans le sang circulant (29) (Galisteo et al. 2008). Il faut par ailleurs prendre en compte le fait que le césium 137 perturbe le cycle de la vitamine D3, un dérivé du cholestérol, chez le rat (30) (Tissandié 2006). La possible réduction d’apport en cholestérol et ses conséquences, en période de croissance du cerveau, dont il est l’un des principaux composants, et le risque d’interaction supplémentaire avec la vitamine D3, chez des enfants et pour les femmes enceintes, doit être également étudiée.
Conclusion
Le niveau de preuve d’efficacité de la pectine pour réduire la contamination chronique par du césium 137 est faible. Au mieux il peut être classé C et il reste à discuter par rapport à un contrôle alimentaire. Son usage sur une période prolongée ou son usage répété doivent être étayés pour être recommandés. L’action sur l’alimentation apparaît comme prioritaire, à la fois en ce qu’elle supprime la source du problème (plutôt que d’enchaîner des périodes d’intoxication et de désintoxication) et en ce qu’elle ne semble pas inférieure à l’usage de pectine. En conclusion :
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Il n’apparaît pas possible de baser un programme de santé publique sur l’usage généralisé de la pectine.
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L’éducation alimentaire, notamment en direction des principales sources d’intoxication (ramassage de baies, champignons, contrôle attentif de l’autoproduction de nourriture), le contrôle des aliments restent la base de la politique de protection des populations.
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En traitement individuel, le recours à la pectine peut être effectué, à condition de garder à l’esprit que son niveau de preuve est faible et que cet usage doit toujours être accompagné d’une éducation alimentaire afin de réduire le risque de sur intoxication par fausse sécurité. Ce recours doit se faire en cures courtes, faute de données suffisantes concernant sa réitération ou son usage prolongé.
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L’efficacité de la pectine, vs contrôle alimentaire avec ou sans placebo à court comme à moyen et long terme reste à faire. Les risques liées à une prise prolongée ou répétée (en termes de croissance, de cycles vitaminiques notamment) doivent être prise en compte, notamment chez les enfants et les femmes enceintes.
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Une recherche concernant des chélateurs internes (à l’image de ce qui est utilisé pour le plomb) doit être menée.
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Un effort important de mise aux normes des études publiées doit être fait concernant les modalités de tirage au sort, le diagramme d’inclusion, le triple aveugle (patient, médecin, évaluateur de la contamination), les modalités de contrôle de l’alimentation pour les enfants restant en zone contaminée ou proche, le suivi des enfants, l’analyse des données et la pratique de tests statistiques adéquats et leurs publications.
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Enfin, la protection du secret médical doit être mieux assurée en évitant une identification directe ou indirecte des enfants contaminés recrutés pour une étude.
Bibliographie
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